Poésie : L'entre-deux vibratoire
Intimation Ce jour d’avance frappé au coin de l’inopérant grisonne déjà aux tempes bien qu’à six heures d’âge. Le pont-levis de l’aube n’est pas encore baissé que tout son être se porte vers la feuille virtuelle, arène vide où déjà se prépare à batailler celui en qui il peut de moins en moins se reconnaître. Si fort, l’aiguillon qui pousse parfois au no man’s land cet errant à la lisière du matin, qui divague, travailleur chu en délicatesse avec ses outils. Il est de moins en moins convaincu de leur raison d’être, et n’approche de lumière que par vague intuition, habité de ses seuls doutes dans l’avance improbable. Il faut tellement aimer pour faire choix de partir bien qu’en règle prévenu de déboires qui s’annoncent. |
Réflexion Des oiseaux, migrateurs et sédentaires mélangés, apposent sur les fils leurs croches et formes plus rondes. Le vent et les arbres vont déchiffrer la partition à l’équivoque faveur d’une tempête prochaine. Le chant de l’hirondelle, qui n’est guère réputée pour avoir le loisir de s’adonner à la musique, est aussi riche en modulations que de plus connus, par ses notes déclinées en variantes multiples. Sa communication, mal écoutée en tous pays, dit mieux que celle du merle (célèbre chez les hommes pour un répertoire de mélodies plus étendu, au retentissement immédiat mais trop peu durable) les manques inavoués, les soupirs, la paix aussi. Sans fioritures, la trille discrète de l’aronde échangées par souci d’apaiser ses destinataires, reçues comme données dans une même vocation plutôt que lancées en même temps à la cantonade. Cet oiseau du presque-silence, de la retenue, aménage de moins en moins ses bivouacs dans nos villes. L’émission de son chant de migration, si c’est un chant, se fait l’écho de mes plus indicibles inquiétudes sur un rapport avec nous-mêmes, qui n’est jamais clair. Quitter, demeurer aussi, font mal sous nos latitudes. |
Vol Roissy-Saïgon, départ 13h25 A sept mille mètres d’altitude le grand soleil n’offre rien au regard qu’une interminable banquise, plus encore que mouettes, ours polaires, c’est blanc comme de l’écume de savon immaculée, ou neige avec des effets de moire un peu partout, en relief. Pourtant dans ce non-lieu, tout ne peut être monochrome : Sahara de glace, rayé de pistes à chameaux, avant cette minute où tout à la vue se dérobe, changement d’instants vers un précipité ténébreux avec pour seule étoile la lumière au bout de l’aile. Le noir est moins opaque que le blanc d’il y a peu. De temps en temps, surprise, la parure d’une ville que lentement la ligne de l’aile vient effacer fait sentir que loin de nous la vie en bas se prolonge. L’ombre n’est plus de celles dont on a des souvenirs ; sur un fond sonore proche du long tapis de basses soutenant les répons du Christ dans la Passion de Bach, c’est dans le fond de l’âme qu’elle devient pénétrable en donnant à chacun l’illusion de s’y repérer. La corde du temps passé se délove dans la grâce. |
Augure L’homme a regardé le silence. Il a éteint ses mains dans une crispation crépitant comme le feu. Son être se violaçait autour du vertige qu’il serrait, dont les contours anguleux le blessaient. Mais toujours devant lui le remuement figé du silence tressait des arches vibratoires. Taris dans un éclair, ses regards pour le soir et pour le lendemain. Le feu, circonscrit à ses mains, s’est déclaré sur son visage déjà raviné, puis strié. Le craquèlement délitait les couches de sa nudité dont les éclats se projetaient sur ce miroir. Son vertige gonflait entre ses doigts qui durcissaient pourtant l’étreinte, ses mains se crevassant et des fumerolles rougeâtres s’exhalant de la profondeur de leurs fêlures. Dans son ciel plat la foudre est sortie de sa gaine. Le fouet de l’éclair lui lacéra bras et poitrine. (Si les attaques des poèmes se rapprochaient encore, ces derniers finiraient par être subintrants. Le diagnostic serait l’Etat de Grand Poème. Le coma ici étant veille, l’issue espérée place reconquise au sommeil). |
Prologue d’une fresque pour Alfred Sisley Cher Alfred, pardonnez-moi cette familiarité d’oser m’adresser à vous le plus simplement du monde, puisque retrouvant avec dilection votre travail j’en compte peu d’autres dont autant de tableaux me touchent ; l’empathie vraie se tissant, l’affinité se créant, époques et styles relégués dans l’indifférence, puisque dans l’art nous sommes ce que nous produisons d’effort avec doutes, nos craintes, nos insuffisances, tant je crois me reconnaître en vous et vous pressens -non mon double en peinture car vous, avez du génie- mais en parent aux correspondances chromosomiques, sans préjuger de l’éloignement de nos galaxies. C’est une fraternité que vos toiles m’insufflent, avec l’homme, avec nous tous et nos cadres de vie. Tout respire l’absolue intégrité de l’artiste, l’intransigeant rejet d’une once de facilité pour construire l’espace et l’harmonie d’un paysage, l’alchimie à travers laquelle vous le percevez. Vous n’avez jamais beaucoup festoyé à Louveciennes, pas plus qu’à Argenteuil, à Marly ou Moret sur Loing, en tout lieu vous parvîntes pourtant à donner le change non par goût du paraître et son corollaire l’orgueil, seulement pour n’attrister ou ne déranger personne. a maintes fois fait tanguer sans retourner votre barque. L’élégance de ne jamais parler de votre mal à vivre, à peindre dans la complète solitude, me fait réfléchir sur l’asymptote des destinées gouvernée par les genres d’expression et les époques. Génie de plume aussi haut que vous avec le pinceau un autre Alfred familier pour moi connut cette épreuve quand bien d’autres recueillaient les faveurs de leur public, d’affronter les ingratitudes et méconnaissances dans un silence dont lui ne s’est jamais départi, arc-bouté au creusement sans faille de sa recherche sans s’accorder le droit de « gémir, pleurer » ni « prier ». Avant vous l’emporta cette maladie diabolique, passé par les larmes muettes du même cancer. L’altruisme consiste à souffrir avec le sourire quoi qu’il en coûte à l’envie humaine de s’épancher, pour ne rien compromettre de la bonne humeur ambiante. Par le rapport de l’eau de vos rivières et du ciel vous nous révélez toute l’âme d’un coin de nature, mettez à jour le vibrant enfoui sous chaque tréfonds ; si l’art contribue au sens de nos pauvres existences, c’est une part centrale de la mienne que je dois à votre œuvre comme à quelques autres, dont je me soigne. De telles dettes on met une vie à s’acquitter. |